LE DROIT À LA VILLE
DANS UNE ÈRE D’AUSTÉRITÉ
(1973–2014)


Perspectives sur le passé, le présent et l’avenir de la démocratie urbaine aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne.

30 - 31 mai 2014 – Paris, France

Colloque co-organisé par le centre de recherche Monde Anglophone : Politiques et Sociétés (HDEA/Université Paris-Sorbonne) et le groupe de recherche Politiques Américaines (CREA/Université Paris-Ouest Nanterre la Défense)





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Si le concept d’Henri Lefebvre du « droit à la ville » s’est imposé sur le devant de la scène ces dernières années, c’est parce qu’il semble décrire quelque chose de fondamental du contexte politique actuel tant en Europe qu’en Amérique du Nord. Les travaux de Lefebvre datant de la fin des années 1960 au milieu des années 1970 ont ainsi fait un retour en force dans les discussions parce qu’ils ont prédit les circonstances qui influencent aujourd’hui le paysage urbain global. Ecrivant en plein cœur des troubles sociaux et politiques de la fin des années 1960, Lefebvre s’est attardé sur une dimension de la contestation qui avait échappé à de nombreux autres observateurs – les campagnes locales contre la destruction des vieux quartiers de Paris par les projets de modernisation comme la voie express sur berge et la Tour Montparnasse. Pour Lefebvre, ces luttes autour de l’utilisation de l’espace urbain étaient essentielles parce que, comme il l’a aussi prédit dans son ouvrage phare *La Révolution urbaine*, l’urbanisation était en train de devenir l’un des moteurs du capitalisme. Compte tenu de l’importance que le processus de gentrification a revêtu en Europe et en Amérique du Nord depuis les années 1970 et les années 1980, il est difficile de nier que l’histoire lui a donné raison. Dès les années 1990, le phénomène que la sociologue britannique Ruth Glass avait déjà décrit à Londres en 1964 était devenu une stratégie centrale des villes du monde entier. Comme David Harvey l’a soutenu en 2008, ces transformations ont révélé à quel point le « droit à la ville » en est venu à signifier le « droit de commander l’ensemble du processus urbain ».

Ce colloque international cherche à développer les analyses de Lefebvre, Harvey, Don Mitchell et d’autres en étudiant les histoires, les formes, les possibilités et les conditions de la démocratie urbaine aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne en cette ère d’urbanisation intensifiée. Une telle réflexion souligne bien entendu les formes de participation politique, les mouvements politiques, les idéologies et les idées qui sont apparus autour des luttes pour le contrôle des espaces urbains – en d’autres termes, pour le droit d’habiter certains espaces et d’accéder à leurs ressources, de les transformer pour les adapter à nos valeurs, nos styles de vie et nos identités et, plus encore sans doute, de participer pleinement au processus de prise de décision qui détermine leur avenir. Les spécialistes de la ville de tous acabits – géographes, sociologues, politistes, anthropologues, historiens et planificateurs – ont déjà apporté des contributions majeures à notre compréhension de la relation entre l’espace et la démocratie urbaine. Nous espérons que ce colloque donnera lieu à de nouveaux apports à la riche littérature qui existe dans ce domaine.

Mais nous cherchons aussi à apporter une perspective relativement nouvelle en mettant en dialogue ces analyses avec les recherches portant sur la manière dont l’histoire de la démocratie urbaine s’est déroulée au cours des quatre dernières décennies dans un contexte que l’on pourrait caractériser de « politique d’austérité ». De fait, si les années 1970 et 1980 ont connu une nouvelle vague de gentrification caractérisée par un rôle accru des capitaux privés dans le processus d’urbanisation, ce même moment a vu aussi l’émergence d’un nouveau régime d’austérité qui a entraîné la diminution des financements publics pour les projets de redéveloppement urbain et d’infrastructure, la privatisation des entreprises publiques, le recul de l’Etat-Providence et une approche de plus en plus punitive du problème de la pauvreté. 

Les Etats-Unis et la Grande-Bretagne – les deux pays qui font l’objet de ce colloque – ont été à l’avant-garde de ces tendances. Au cours des années 1980, le président Ronald Reagan et le premier ministre Margaret Thatcher ont considérablement réduit les financements accordés aux municipalités et ont fait des coupes drastiques dans les dépenses sociales, créant une onde de choc d’austérité dans de nombreuses villes et démantelant efficacement les politiques urbaines progressistes à l’échelle nationale aux Etats-Unis comme en Grande-Bretagne. Leurs politiques étaient en outre parées du manteau d’idéologies célébrant les valeurs d’individualisme et responsabilité individuelle. Toutefois, ces évolutions ont contribué à la prolifération de nouvelles formes de participation politique urbaine et de mobilisation collective qui restent encore à historiciser et à conceptualiser correctement. Employant des expressions comme « démocratie de participation » et « autogestion des communautés », des organisations et des mouvements locaux ont cherché à reformer des solidarités sociales et à amener des citoyens ordinaires dans des luttes pour le logement, la santé, les écoles, la lutte contre le crime, l’environnement, le droit des immigrants, le salaire minimum, et toute une série de questions relatives à la qualité de vie. Ces luttes ne portent pas uniquement sur le « droit à la ville » mais aussi sur la nature même de la citoyenneté sociale.




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THE RIGHT TO THE CITY IN AN ERA OF AUSTERITY (1973-2014):

Perspectives on the Past, Present, and Future of Urban Democracy in the United States and Great Britain.



May 30-31, 2014



If Henri Lefebvre’s idea of “the right to the city” has become fashionable in recent years, this is because it seems to describe something elemental about the current political context in Europe and North America. Indeed, the body of work Lefebvre completed from the late 1960s to the mid 1970s has seen a revival, in part, because it predicted so well the circumstances that now shape the global urban landscape. Writing amidst the social and political upheaval of the late 1960s, Lefebvre fixed his gaze on a dimension of the contestation that many other observers were overlooking—the grassroots campaigns against the destruction of old Paris neighborhoods by modernization projects like the Left Bank Expressway and the Tour Montparnasse. For Lefebvre, these struggles over the use of urban space were critical because, as he also predicted in his classic book *The Urban Revolution*, urbanization itself was becoming one of the driving forces of capitalism. In view of the importance that the process of gentrification has taken on in Europe and North America since the 1970s and 1980s, it is hard to argue that history has not proven him right. By the 1990s, the phenomenon that British sociologist Ruth Glass had first observed in London in 1964 had become a central strategy of cities throughout the world. As David Harvey argued in 2008, such circumstances have revealed the extent to which “the right to the city” has come to mean “the right to command the whole urban process.”

This conference seeks to build upon the insights of Lefebvre, Harvey, Don Mitchell and others by exploring the histories, forms, possibilities, and conditions of urban democracy in the United States and Great Britain during this era of intensified urbanization. Such a reflection of course emphasizes the forms of political participation, political movements, ideologies and ideas that have developed around struggles over urban spaces—in other words, over the right to inhabit spaces and access their resources, to transform them to suit our values, lifestyles, and identities, and, perhaps above all, to participate meaningfully in the decision-making process that determines their fate. Urban specialists of all stripes—geographers, sociologists, political scientists, anthropologists, historians, and planners alike—have already added a gréât deal to our understanding of the relationship between space and urban democracy. We hope that this conference will help to draw out some of the latest contributions to the rich literature in this area.

Yet we also seek to add a somewhat fresh perspective to this kind of reflection by bringing such research into dialogue with scholarship focused on understanding how the story of urban democracy over the last four decades has unraveled within a context shaped by what could be referred to as the “politics of austerity.” Indeed, if the 1970s and 1980s witnessed a new wave of gentrification characterized by the increasing role of private investment capital in the process of urbanization, this same moment also saw the emergence of a new regime of austerity that entailed the withdrawal of public funding for urban redevelopment and infrastructural projects, the reduction of public sector employment and of public services, the privatization of public enterprises, the rolling back of the welfare state, and an increasingly punitive approach to the problem of poverty.

The United States and Great Britain—the two national contexts that constitute the focus of this conference—were at the forefront of these trends. During the 1980s, both President Reagan and Prime Minister Thatcher dramatically reduced funding to municipalities and slashed social spending, creating shockwaves of austerity in many cities and effectively dismantling liberal urban policy at the national scale in the United States and Great Britain alike. These policies, moreover, were clothed in ideologies that celebrated the values of individualism and personal responsibility. However, such circumstances contributed to the proliferation of new forms of urban political participation and collective mobilization that have yet to be adequately historicized and conceptualized. Employing terms like “participatory democracy” and “community empowerment,” local organizations and movements have sought to rebuild social solidarities and to bring ordinary citizens into struggles over housing, health care, schools, crime, the environment, the rights of immigrants, living wage ordinances, and a range of quality-of-life issues. These struggles have not merely been about “the right to the city,” but also about the very nature of social citizenship.